LES MOUCHES (Raymond Queneau)

Les mouches d'aujourd'hui
ne sont plus les mêmes
que les mouches d'autrefois
elles sont moins gaies
plus lourdes, plus majestueuses, plus graves
plus conscientes de leur rareté
elles se savent menacées de génocide.
Dans mon enfance elles allaient se coller joyeusement
par centaines, par milliers peut-être
sur du papier fait pour les tuer
elles allaient s'enfermer
par centaines, par milliers peut-être
dans des bouteilles de forme spéciale
elles patinaient, piétinaient, trépassaient
par centaines, par milliers peut-être
elles foisonnaient
elles vivaient.
Maintenant elles surveillent leur démarche
les mouches d'aujourd'hui
ne sont plus les mêmes que les mouches d'autrefois.

Un dîner de têtes - Jacques Prévert

Le Président parle et le silence est tel qu'on entend les mouches voler et qu'on les entend si distinctement voler qu'on n'entend plus du tout le Président parler, et c'est bien regrettable parce qu'il parle des mouches, précisément, et de leur incontestable utilité dans tous les domaines et dans le domaine colonial en particulier.
"...Car sans les mouches, pas de chasse-mouches, sans chasse-mouches pas de dey d'Alger, pas de consul... pas d'affront à venger, pas d'oliviers, pas d'Algérie, messieurs, et d'ailleurs..."
Mais quand les mouches s'ennuient elles meurent, et toutes ces histoires d'autrefois, toutes ces statistiques les remplissent d'une profonde tristesse, elles commencent par lâcher une patte du plafond, puis l'autre, et tombent comme des mouches....

LE COCHE ET LA MOUCHE (La Fontaine)

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un coche.
Femmes, moine, vieillards, tout était descendu ;
L'attelage suait, soufflait, était rendu.
Une mouche survient, et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement,
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine,
S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.
Aussitôt que le char chemine,
Et qu'elle voit les gens marcher,
Elle s'en attribue uniquement la gloire,
Va, vient, fait l'empressée : il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens et hâter la victoire.
La mouche, en ce commun besoin,
Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin ;
Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.

Le moine disait son bréviaire :
Il prenait bien son temps ! une femme chantait :
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait !
Dame mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.
Après bien du travail, le coche arrive au haut :
" Respirons maintenant ! dit la mouche aussitôt :
J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Çà, Messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine. "


Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires :
Ils font partout les nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être chassés.

Trois autre fables de La Fontaine:
Le Renard les Mouches et le Hérisson
Le Lion et le Moucheron
La Mouche et la Fourmi
Les Frelons et les Mouches à miel

LE JEU DES MOUCHES
extraits de "Vive les mouches!", André Brincourt, LdP.

Non pas forcer quelque idée, non pas l'étendre encore moins lui trouver sa cage, mais la saisir quand et comme elle passe, poursuivie par une autre.

Prudentes ou imprudentes, imprévisibles,
elles tentent de se rejoindre - et se laissent prendre.

La toile d'araignée planétaire étant, paraît-il, en place, ne perdons pas le contrôle de l'essentiel : la liberté des mouches.

*
On a les idées qu'on peut. A défaut de les attrapper au vol, je les chasses distraitement en espérant que, prises, elles soient là-haut gobées vivantes. Je veux dire : selon leur mérite. C'est aussi une manière de passer le temps. (page 15)
*
Peut-être vous souvenez-vous que les idées vagabondes se trouvent hors rang, dispersées, bourdonnantes, mouches du coche. (page 17) J'apprends que Pierre Gascar considérait la mouche "comme le point à partir duquel nos relations complexes avec le monde pouvaient se définir". Je me suis promis d'essayer de le comprendre avant de l'approuver.
Dorothy Bussy, en me racontant cette anecdote, se demandait elle-même le sens caché qqu'elle pouvait avoir:
"Nous étions, André Gide et moi, en train de bavarder, assis l'un en face de l'autre sur la terrasse de la villa La Souco. A plusieurs reprises j'ai chassé une mouche qui voulait se poser sur mon visage. Gide, soudain, s'arrêta au milieu d'une phrase, et avec une amabilité un peu trop appuyée me dit : 'Je vois que cette mouche vous importune, nous pourrions échanger nos places.'"
Peut-être faut-il s'interroger avec plus de sérieux sur l'idée que Gide se faisait des mouches. (page 107)

*
Pensées volantes, pensées volées.
Combien se sont échappées? Insaisissables, irrécupérables, pour aller vers quoi? venant d'où? Peut-être reviendront-elles, une nuit, par des chemins secrets, pour me narguer.
Ce signal insistant des mouches qui passent et repassent et ne sont pas assez folles, assez imprudentes pour se poser. (page 185)
*
La liberté des mouches, ce n'est pas un mince problème. Tantôt bourdonnantes, tantôt vrombissantes, toujours imprévisibles, leur vol en zigzag n'est pas sans intentions. D'autre part, est-il un mot plus galvaudé que celui de "libert"? La plus grande catin de l'histoire. Pour que vive la liberté, la monde à dû porter la lumière au plus sombre de ses nuits. Flamme qui éclaire et qui brûle. Il y a même une statue pour le dire.
Au vrai, la question n'a jamais été de savoir si les hommes la méritent, mais si les hommes peuvent la supporter. (page 185)

The Fly

extrait de Songs of Experience,
de William Blake (1757-1827)

Little fly,
Thy summer's play
My thoughtless hand
Has brush'd away.

Am not I
A fly like thee?
Or art not thou
A man like me?

For I dance
And drink & sing;
Till some blind hand
Shall brush my wing.

If thought is life
And strength & breath:
And the want
Of thought is death;

Then am I
A happy fly,
If I live,
Or if I die.

Le respect humain 
Norge

La mouche du coche? Ah oui, je l'ai beaucoup connue. "Comprenez-moi, c'est par pudeur, me confie-t-elle. En vérité, j'ai horreur du travail et mon délice est de rêver. Mais dans un monde où chacun se consume à la peine, il serait scandaleux de paraître inactive". 

Une fête
Norge

La folle mouche d'octobre
Qu'exaltait l'amour de vivre
Sent déjà pincer le givre
Qui va lui blanchir la robe.

Mais elle ne gémit pas
Et nous zézaye à tue-tête,
Mordant au raisin muscat
Que la mort est une fête.

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Sourire de mouche
Norge

Une minute en ce monde, 
Soixante perles bien rondes... 
Mais le collier volatile
S'échappe avant qu'on l'enfile.

D'un bijou sans lendemain
Voici l'ombre qui déferle
Car il n'est pas une perle 
Qui me reste dans la main!

On voit aussitôt s'éteindre
Une lueur de chandelle
Où les yeux rêvaient d'étreindre
Une minute éternelle

Quelque dieu d'humeur infecte
A froidement raturé
Ces frêles pas sur le sable, 
Cette fièvre de durer.

O le fugitif cortège 
Déjà repris par le ciel!
Ces humains furent de neige
Et ces chevaux d'étincelles.

Mais quels vents inopinés,
Quels vents de bizarre souche
Soudain savent inventer
Sur ce mirage hébété

Le sourire d'une mouche!

LA MOUCHE

Toujours ? Non. Jusqu’à ce jour incroyable où la grand-mère Berthe, vieillotte et malade, leur avait susurré placidement : " Ne soyez pas tristes ! Vous verrez, morte, je vous ferai encore des petits signes… Peut-être par une mouche… "

Hélène Wascat
Le texte sur http://www.textes.net/html/echange/textes/nouvelles/hwascat.htm


Dio, Chevalier de la Mouche

Eloge de la mouche

La mouche n'est pas le plus petit des êtres ailés, si on la compare aux moucherons, aux cousins, et à de plus légers insectes; mais elle les surpasse en grosseur autant qu'elle le cède elle-même à l'abeille. Elle n'a pas, comme les autres habitants de l'air, le corps couvert de plumes, dont les plus longues servent à voler; mais ses ailes, semblables à celles des sauterelles, des cigales et des abeilles, sont formées d'une membrane dont la délicatesse surpasse autant celles des autres insectes qu'une étoffe des Indes est plus légère et plus mœlleuse qu'une étoffe de la Grèce. Elle est fleurie de nuances comme les paons, quand on la regarde avec attention, au moment où, se déployant au soleil, elle va prendre l'essor. Tout le texte sur http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Mouche--Eloge_de_la_mouche_par_Lucien
Lucien de Samosate, II° siècle ap. J.C.


extrait de http://bleau.info/beauvais/88.html

La Mouche de Giovanni della Grossa

Un an après la mort d’Orsolamano, retournant sur ce lieu où il avait été tué et enseveli au hasard, quelques hommes allèrent d’un commun accord ouvrir la sépulture parce qu’on disait qu’il y avait vraiment le démon. Quand elle fut ouverte, ils n’y trouvèrent ni chair ni os, comme s’il n’y avait jamais été enterré. De la sépulture, il sortit seulement un grosse mouche de la taille d’un frelon, et cette mouche volait autour des hommes qui avaient ouvert la sépulture en faisant un bruit semblable à celui des grosses mouches. Ensuite elle s’éloigna dans les environs, et tous les humains, de même que les animaux, mâles et femelles, mouraient aussitôt. Cette mouche grandissait et au bout de dix ans, elle devint de la taille d’un boeuf, de sorte qu’elle ne pouvait plus voler, et de son souffle elle empoisonnait les personnes qui par malheur s’approchaient d’elle et partout où elle se trouvait, il en était de même pour toute chose vivante.
Tout le texte sur http://www.interromania.com/studii/sunta/renucci/cumenti003.htm
Chronique de la Corse, Giovanni della Grossa, XVième siècle

LA MOUCHE ET LA BÊTE

Quel est donc cet animal étrange, insaisissable, qui virevolte autour de nous, nous assourdissant de son vrombissement monotone et qui semble pourtant aigu à nos oreilles ? Se peut-il qu'il soit aussi cet instrument de séduction usé par les femmes il y a quelques siècles ? Quel rapport entre cette forme aux mille figures, aux mille yeux, et cet artifice précis, dessiné avec dextérité au creux d'une fossette, sur la joue fardée ou à la naissance du sein pour attirer le regard masculin ? Les deux mouches ont en commun cette aura insaisissable, cette idée de l'inaccessible et pourtant toujours présent qui hante l'esprit, le mange, le hante sans relâche jusqu'à rendre fou le pauvre hère qui s'égare à lui concéder quelques secondes d'inattention. Le regard s'égare sur la mouche féminine, l'oreille prête son pavillon aux vrombissements de la bête et le sort est jeté, les jeux sont faits. Il ne reste plus alors qu'à effacer cette marque obsédante qui s'impose à chasser la mouche, l'écraser contre la vitre ou poser la main pour faire disparaître l'autre. Et l'esprit ne sera apaisé qu'à cette seule issue, cet acte de barbarie qui chassera la mouche ... jusqu'à l'apparition inattendue et obsédante d'une de ses nouvelles incarnation.
Muriel Andrin

La mouche
Nos mouches savent des chansons
Que leur apprirent en Norvège
Les mouches ganiques qui sont
Les divinités de la neige.
extrait de Guillaume Appoliniare, Le bestiaire


*

Nous pourrions peut-être essayer d'écrire comme la mouche vole, avec des mots qui prennent l'air et la lumière, des mots qui rebondissent, éclairent, dansent, des mots qui iraient plus loin que le regard.
Le Clézio, Mondo et autres histoires, Ed. Gallimard, cité par Brincourt, Vive les mouches!, LdP, page 61.

Drawning from one of the flies preserved in early 18th dyn. jewelry, probably from the Ahhotep/Ahmose finds. The original object is 3-dimensional, but the same basic outline exists as a hieroglyph in 18th dynasty texts - approx. 1500 BC (courtesy Dr. John Baines)

Voyelles (Arthur Rimbaud)

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes:
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux;

O, Suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges:
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux!

Ecrire! pouvoir écrire! cela signifie la longue rêverie devant la feuille blanche, griffonnage inconscient, les jeux de la plume qui tourne en rond autour d'une tache d'encre, qui mordille le mot imparfait, le hérisse de fléchettes, l'orne d'antennes, de pattes, jusqu'à ce qu'il perde sa figure lisible de mot, mué en insecte fantastique.
Colette
Brincourt, Vive les mouches, LdP, page 57.

bizoum

(...)Une assemblée de signes, à partir d’un alphabet inventé et se formant mot à mot en une réserve d’émotions et de sens, c’est cela qu’on appelle un livre. L’homme – l’écrivain dans le cas d’espèce – se veut, assez mystérieusement, l’auteur d’un livre. Auteur ! Or un livre, outre les pattes de mouches qui l’inscrivent et qui, ailes de mouches, s’envoleront, est fait de la matière la plus vulnérable qui soit, papier mort avant que d’être né, objet de la convoitise barbare de tous les fléaux déchaînés:...Salah-Stétié, "Des lettres et des mouches," Essai.


Eric Chagnon

La mouche : manger est-il un plaisir universel ? Oui chez les hommes comme chez les animaux. Faire caca est-il un plaisir universel ? Oui chez les hommes comme chez les animaux. Maintenant, manger du caca est-il un plaisir universel ? Non chez l'homme, il faudrait être complètement moche ou mouche, (sauf exception de certains fous scatologiques pour le faire ou profondément humain en la souffrance). Oui pour la mouche qui mange le caca des hommes. Maintenant qui est le plus universel des deux : la mouche ou l'homme ? L'homme qui se dégoûte du plaisir universel de manger son caca, ou la mouche qui comble deux plaisirs universels à la fois, faire caca et manger du caca. Et alors, dans toute cette histoire scatologique et de gourmet, qui est le prince des Mouches ? Le rebus de l'humanité, le fou scatologique, ou la mouche princesse entre toutes les princesses puisqu'elle comble deux plaisirs à la fois, là où l'homme se dégoûte lui-même ? Tant qu'il y aura des mouches, croyons-le!
Patrice Vareltzis

unies vers selles ...

La mouche

La mouche n'a pas de forme humaine
elle ressemble plutôt a une brebis
sont bêlement se fait entendre au cours des siestes
comme les hommes elle dort la nuit
la mouche se nettoie la tête comme le chat
se lisse les ailes comme le moineau
et s'immobilise parfois pour réfléchir
Elle réfléchit à la nature du verre
et quand elle croit avoir résolu le problème elle s'envole
et pan! la voilà qui se cogne contre la vitre encore une fois
contre la vitre qui, elle aussi, réfléchit

Battre la campagne
Raymond Queneau

(j'ai trouvé une mouche sur le rebord de ma fenêtre ) Natahlie

morte raide

Je la prends par l’aile elle ne se débat pas je la soulève dans l’air et la fait vire- volter comme un avion en papier

ça craque un peu entre mes doigts ses noirs yeux

je n’aime pas les mouches d’ailleurs quand j’étais enfant j’avais beaucoup de plaisir vraiment … à les tuer à les observer agoniser sous la flamme de mon briquet bleu fondre sans ailes ni pattes ni tête se débattre dans une toile tissée se noyer dans mon verre de coca

ou écrasée à moitié

Le vent souffle sur son cadavre On dirait Qu’elle veut s’envoler

Je la regarde Elle tremble

Je n’y suis pour rien

Natahlie extrait de http://www.anima.be


N. de Perseval

"La mouche" J'ai dans la bouche un oeil qu'une mouche a conquise. Et j'ai bouché les trous et les béances fortes. J'ai goûté tout le sang et les battements d'ailes. J'ai dans la bouche un fil tortionnaire d'une mouche. Et dans la contorsion, j'ai happé quelques cris. C'était d'elle que c'était les tremblements de voix. Comme si. Comme si c'était dans l'heure de la voir remourir. Mais dans mon âme obscure, je l'ai voulue cruelle. Je l'ai sauvée. Je l'ai bénie. C'était de ces moments que la grâce ébouriffe. J'étais fier de la voir saccager le silence. J'étais fier de l'avoir comme de ces incartades. Nature divine dans du sang et des ailes. Bête ployée sous les rais des lumières. Je n'avais pas compté les moments de paresse. Sous ma langue, dans mes plis. Et j'ai su qui j'étais quand, dans un moment de panique, je l'ai broyée quand même.
Kang Byung-Ki

"Il y eut une fois, dans un recoin éloigné de l'univers répandu en d'innombrables systèmes solaires scintillants, un astre sur lequel des animaux intelligents inventèrent la connaissance. Ce fut la plus orgueilleuse et la plus mensongère minute de l'" histoire universelle ". Une seule minute, en effet. La nature respira encore un peu et puis l'astre se figea dans la glace, les animaux intelligents durent mourir. - Une fable de ce genre, quelqu'un pourrait l'inventer, mais cette illustration resterait bien au-dessous du fantôme misérable, éphémère, insensé et fortuit que l'intellectuel humain figure au sein de la nature. Des éternités durant il n'a pas existé ; et lorsque c'en sera fini de lui, il ne se sera rien passé de plus. Car ce fameux intellect ne remplit aucune mission au-delà de l'humaine vie. Il n'est qu'humain, et seul son possesseur et producteur le considère avec pathos, comme s'il renfermait le pivot du monde. Or, si nous pouvions comprendre la mouche, nous saurions qu'elle aussi nage à travers l'air avec ce pathos et ressent en soi le centre volant de ce monde. Il n'y a rien de si abject et de si minuscule dans la nature qu'une légère bouffée de cette force du connaître ne puisse aussitôt gonfler comme une outre ; et de même que tout portefaix aspire à son admirateur, de même l'homme le plus fier, le philosophe, croit-il avoir de tous côtés les yeux de l'univers braqués comme des télescopes sur son action et sa pensée. Il est remarquable que cet état de fait soit I’oeuvre de l'intellect, lui qui ne sert justement aux êtres les plus malchanceux, les plus délicats et les plus éphémères qu'à se maintenir une minute dans l'existence, cette existence qu'ils auraient toutes les raisons de fuir aussi vite que le fils de Lessing sans le secours d'un pareil expédient. L'espèce d'orgueil lié au connaître et au sentir, et qui amasse d'aveuglantes nuées sur les yeux et les sens des hommes, les illusionne quant à la valeur de l'existence parce qu'il véhicule la plus flatteuse évaluation du connaître. Son effet général est l'illusion - mais ce caractère se retrouve aussi dans ses effets les plus particuliers." Nietzsche. http://ecrivain.tk