Stephan Balleux

PANOPTIQUE

 

 

Panoptique, vocable mystérieux ou l’utopie d’un regard qui pourrait, d’un seul coup, embrasser ce qui l’entoure dans sa totalité. Tout voir. Ce désir de regard total sous-tend aussi bien inventions ludiques (les panoramas rotondes dont les murs circulaires sont couvertes de toiles peintes en trompe l’œil au 19ème siècle) que structures carcérales (imaginés par Jérémy Bentham au 18ème siècle qui, au lieu de dissimuler les détenus au fond de cachots obscurs, les soumet à un système de surveillance basé sur la transparence absolue des cellules). Reposant sur l’omniscience fantasmatique de l’œil, il est le possible instrument d'une maîtrise globalisante et totalitaire du monde.

 

Après The Perfect Blur et Res Derelicta, la peinture hyperréelle de Stephan Balleux nous invite à une nouvelle confrontation ultime avec une collection d’objets choisis et organisés selon ce principe de paysage panoptique. Au départ de compositions basées une fois de plus sur l’idée du jeu et du déguisement, mais surtout de glissements de matière picturale qui modifient l’identité humaine/animale des sujets (également au centre de ses toiles actuellement exposées dans le cadre de l’exposition Jeunes peintres Belges à UsageExterne), elle s’avance vers des considérations d’un autre ordre, qui interrogent le point de vue et l’articulation de rapports de pouvoir entre le regardant et l’être vu. Comme dans un véritable panoptique où chaque cellule transparente et illuminée renferme son détenu (« Autant de cages, autant de petits théâtres, où chaque acteur est seul, parfaitement individualisé et constamment visible » selon Michel Foucault), chaque toile abrite son sujet, irrémédiablement séparé des autres par les limites physiques et cloisonnant de la toile, tout en co-existant néanmoins dans le même espace d’exposition. Notre regard omniscient se nourrit de ce dressage de corps divers qui nous sont généreusement offerts. Mais devant ces murs tapissés de toiles, la parfaite visibilité devient un piège pour le spectateur dont le peintre se joue en usant du fond et de la forme - camouflant ses sujets derrière des déguisements, des flous, des jeux de matière et des formats de représentation réduits.

 

L’exposition pose alors la question de la place des corps et des sujets dans un système de représentation où ils sont mis à nu, entièrement soumis à notre regard surplombant. A y regarder de plus près, devant ces murs couverts de sujets, le rapport s’inverse. Comme le déterminait déjà Foucault, le champ de visibilité du panoptique est fluctuant : « dans l’anneau périphérique, on est totalement vu, sans jamais voir ; dans la tour centrale, on voit tout, sans être jamais vu”. Qui voit et qui est vu ? Se prenant pour le surveillant, le spectateur s’égare et se trompe finalement car il est pleinement exposé. Le point de vue spectral et dépersonnalisé du panoptique se démultiplie et s’organise en réalité depuis les toiles elles-mêmes, selon un système jouant sur l’emprisonnement punitif des panoptiques carcéraux. Créant chez nous un sentiment de surveillance perpétuel même si imaginaire, ce sont les sujets des toiles qui nous observent et nous surveillent, de derrière leurs costumes ou du fin fond des étendues blanches des feuilles de dessin, comme ces chiens patients qui ne nous regardent pas mais attendent un seul faux pas pour enfin nous surprendre…

 

 

 

Muriel Andrin

Docteur es cinéma, Université Libre de Bruxelles

Mars 2004