Alien Resurrection
Pour que les monstres renaissent
Pris comme un élément autonome, Alien Resurrection parvient à survivre sans cette comparaison forcée qui l'unit immanquablement aux autres épisodes dans l'esprit du spectateur. Il ne faut pourtant pas oublier que cette suite de 'sequels' que l'on avale comme du pop-corn croustillant, entretient une relation particulière avec un public qui semble conquis d'avance par sa confrontation annoncée avec la Bête. Ce que le spectateur averti attend donc, c'est ce nouvel affrontement qu'il mesurera sans nul doute aux autres. On pouvait donc tout (ou rien) attendre du contrat qui liait, après les très américains Ridley Scott, James Cameron et David Fincher, le réalisateur français Jean-Pierre Jeunet (séparé pour l'occasion de son acolyte Carot) et la bête de Giger.
Il pourrait sembler difficile au premier abord de déterminer l'importance de l'apport de Jeunet, qui, selon la polémique a été largement écarté du produit final (commentant, non sans humour, lorsqu'on lui demande ce qu'il pense du film, qu'il le saura quand il aura visionné le montage final, retravaillé sans lui). Pourtant, si la machine hollywoodienne a bien failli engloutir dans ses rouages scénaristiques et visuels toute innovation artistique autre, étrangère, dès le départ, des composantes frappent comme étant caractéristiques d'un style 'Jeunet': les décors, la casting (dont les figures déjà exploitées de Dominique Pinon et de Ron Perlman), de visages délibérément déformés (frêre siamois de ceux apparaissant dans La Cité des enfants perdus), mais surtout une atmosphère spécifique aussi palpable qu'indéfinissable, empreinte d'étrangeté et de lueurs, bien loin de l'épuration monastique des décors de l'épisode de Fincher. Ironie ou réussite presque fortuite, cette conception cinématographique de Jeunet qui semblait pétrie de caricature et dont la nature excessive dépassait fréquemment tout esprit de narration, dans ses associations avec Carot, offre ici une sorte d'échappatoire, une nouvelle dimension à la créature de Giger mais surtout au personnage d'Helen Ripley.
Element hybride comme le film (sa métaphore), Ripley renaît donc de ses cendres et de sa chute éternelle. Dès le départ, tout s'imbrique, au propre comme au figuré. Difficile de survivre au générique, véritable matrice, puzzle "puzzling" recoupant la construction interrogatrice du générique de Seven de David Fincher. Ces imbrications de chairs et d'éléments corporels connotent la re-naissance (la resurrection du titre) et renvoyent à tous les éveils des premiers équipages des Aliens précédants, rajoutant cette fois un sens plus liittéral, charnel. Ces membres entraperçus de façon presque furtifs établissent d'emblée le thème fondateur du film: l'élaboration identitaire.
Ayant dépassé le stade de la simple guerrière survivante et plus que jamais symbole de matriarchie, Helen Ripley acquiert ici le visage neuf et emblématique d'une nouvelle maternité - celle d'un nouveau monstre mais surtout d'un nouveau moi. Plus qu'un 'truc' scénaristique (à la limite du ridicule) qui permet à Ripley de renaître ici, la manipulation génétique offre d'autres voies, élargit les retombées du corps originel de la mère. L'image forte du film s'articule dans la confrontation entre le modèle réussi et les répliques déformées, dédoublées, inachevées. Ces représentations, ces 'essais' génétiques, Ripley en est l'image parachevée, la huitième tentative, comme l'Alien lui-même était le huitième passager du premier vaisseau d'Alien I. En poussant juste un peu plus loin cette idée, on peut même considérer l'alien comme une autre extension sur-achevée cette fois du corps reclôné de Ripley.
Par ailleurs, comme les figures monstrueuses, la relation maternelle est ici dédoublée, démutlipliée dans le face à face Ripley/Call, Ripley et ses re-créateurs pour revenir vers la relation essentielle: celle qui se tisse entre Ripley et son 'enfant'. D'un point de vue iconographique, les deux ont par ailleurs été engendrés, l'alien aux yeux 'humains' par l'alien-mère porteuse et Ripley lorsqu'elle évolue dans la matrice gluante et sur-dimensionnée.
Ainsi, Ripley est tout à la fois. Son personnage ressemble à un véritable héros épique, masculinisé et confronté aux quatre éléments, même si le tout mène, de façon symbolique et logique, à la terre-mère. Mais outre le héros, elle est avant tout la Mère, l'épicentre d'un univers, ayant engendré à son insu des figures monstrueuses d'elle-même ou de la Bête mais articulant aussi la lutte, seule à connaître et pouvoir démanteler l'adversaire. Car Ripley (puisque le titre tend vers l'allusion biblique), c'est Lilith, Eve et Marie à la fois; elle est amour de l'enfant et la destruction de celui-ci, la Mère et le Monstre dans le même corps, celle qui veut sauver et doit annihiler en même temps, voir dans le même mouvement.
Mais ce serait donner une importance écrasante et presque démesurée à l'apport Jeunet que d'omettre le fond épique, plein d'effets et typiquement hollywoodien qui sur-cadre le tout et qui fait que le film pèche par ses excès. Poursuites et luttes sans fin dominées par le spectaculaire (même si certaines surprennent par la beauté de leur chorégraphie visuelle, comme la bataille sous-marine), musique tonitruante et sans véritable fondement, caricatures et stéréotypes exacerbés, et ironie lourde (dont la phrase "I am already dead three times") font de cet épisode un produit qui pourrait prendre place dans la catégorie des films "vite vus, vite digérés, vite oubliés". Mais le générique et la scène de confrontation entre Ripley et ses clônes détournent cette optique vers un autre débat.
Plus qu'une réussite ou qu'un échec, Alien Resurrection est un étrange objet, un mélange presque confus et paradoxal des deux extrêmes. Sans doute y avait-il donc une absolue nécessité d'entretenir cette nature hybride des moyens, cette opposition d'un esprit européen et d'un autre, américain, à la limite du manichéisme dans ses illustrations. Les moments de stase narrative sont ceux qui donnent un sens à un film qui tomberait facilement dans une logique exclusive de spectacle. Mais le film malgré son vernis et sa structure presque simpliste, brouille les pistes. A la limite du freak show à la Tod Browning, Alien Resurrection fait des personnages 'déviants' (l'handicapé, le clône, le géant, l'androïde voir même la bête) les principaux personnages de son récit mythique. La Bête, l'attraction suprême auparavant, semble à présent détrônée, presque vulgarisée. De ce constat naît une question inattendue et sans précédent; là où les autres épisodes sur-définissaient l'ennemi, qui de l'alien, des clônes humains ratés ou inachevés, du re-créateur scientifique ou encore de la mère qui tue sa propre descendance, est ici le véritable monstre?
Muriel Andrin